(Sur)pression dans les Grands Lacs du Rift Est-Africain
La République Démocratique du Congo, occupe sur le continent, une position géographique singulière et un espace immense, qui s’étend depuis l’Atlantique (où elle est enclavée derrière ses petits 34 kilomètres de côte à l’infrastructure vétuste, bientôt modernisée par l’émirati DP World qui y construit le port en eaux profondes de Banana : le grand rêve de Mobutu), jusqu’à la région des Grands Lacs, dont elle partage les eaux avec plusieurs États, depuis l’Ouganda à la Tanzanie, voies de transit vers les ports vitaux de l’océan Indien.
Le sous-sol congolais est connu pour ses énormes richesses minières, qui alimentent abondamment le marché international, assoiffé de métaux précieux (cobalt, or, coltan). Néanmoins, on parle moins de son potentiel pétro-gazier, sous exploré, mais dont les dernières levées, confirment des réserves importantes. C’est pourquoi, un appel d’offres, s’est tenu les 18 et 19 juillet 2022, dans un contexte tendu de crise énergétique, lié au rationnement russe. Kinshassa met aux enchères 30 blocs aux superficies atypiques (au lieu de 16, comme annoncé en mai par le ministre des hydrocarbures), qui parsèment les quatre coins de son territoire.
Les blocs prolifiques les plus sondés, se trouvent sur sa frontière Est agitée. Ils sont idéalement positionnés au centre de la région extrêmement riche des Grands Lacs Est-Africains, là où s’est construit un système géologique exceptionnel : la Vallée du Rift. Elle englobe le bassin pétrolier d’Albertine, où du brut serait piégé en quantité considérable (plusieurs milliards de barils). Un label, qui propulse le voisin ougandais, sur la liste des futurs grands pays producteurs d’or noir, à l’horizon 2030.
Sur le lac Albert (et Edward) l’Ouganda et la République Démocratique du Congo, possèdent des blocs, qui constituent l’épicentre d’un ensemble de réserves d’hydrocarbures dans et autour des Grands Lacs : Turkana, Edward, Kivu, Victoria, Georges, Tanganyika et Nyasa. Leur pétrole, pourrait être acheminé par le pipeline EACOP (1445 kilomètres) en cours de construction, qui reliera l’Ouganda à l’océan Indien en Tanzanie, au port de Tanga.
Un grand bassin disputé, qui prend la forme d’un ensemble géopolitique uni et soudé en apparence, devant de nouvelles perspectives géo-économiques, où les installations offshore déconstruisent un maillage complexe de frontières naturelles, subdivisées jadis, sur une carte par les empires coloniaux. Des tracés poreux et très difficiles à surveiller, entre une dizaine de nations, aux problématiques intérieures nombreuses, prises dans le tourbillon infernal, de ces nouveaux enjeux industriels, aux retombées financières colossales.
Une vaste zone tiraillée par une insécurité criante, exacerbée par le réveil soudain et mystérieux de groupes armés, sur fond de négociations compliquées pour l’acquisition des terres situées sur les secteurs pétro-gaziers et à proximité du passage du pipeline EACOP. Là, sont constatées les prémisses d’un déplacement forcé des populations.
La surmilitarisation de cette aire stratégique est imposée par les puissantes majors pétrolières, qui travaillent dans l’Ouest ougandais, stressées par la montée en puissance des incursions menaçantes et régulières des groupes armés ADF et M23, au plus près des champs Kingfisher (opéré par le français Total) et Tilenga (opéré par le chinois Cnooc). Les autorités ougandaises, quant à elles, craignent un retard supplémentaire de la production de cette manne pétrolière ; elles veulent à tout prix, fournir les garanties sérieuses, dédiées à la sécurité renforcée des 934 kilomètres qui la séparent de la RDC.
Très vite, sous le pilotage de l’Ouganda, s’observent des actions militaires d’envergure, avec ordre de quadriller les différents points chauds, tels que les routes commerciales principales et postes frontière clé (Kasindi), autour des lacs Albert et Edward, où pullulent en RDC, des barrages informels, érigés à la fois par des civils militaires et rebelles. Shujaa est le nom de cette opération lancée, en grande pompe dans le Nord Kivu & l’Ituri (décembre 2021), par l’Ouganda déterminée et la RDC acculée. Objectif : la sécurisation du nouveau projet routier sensible Kasindi-Beni-Butembo et d’autres axes en RDC, qui seront interconnectés à l’Ouganda. Ils deviennent les pièces maitresses d’un grand chantier transfrontalier militarisé.
L’ Ouganda, est autorisée « exceptionnellement », à intervenir directement sur le sol congolais, afin de localiser les points de repli rebelles dans les Aires Protégées. Sur un domaine équatorial à la végétation luxuriante, l’augmentation du contrôle des flux (cordon de sécurité), vers la ligne de frontière, est actée. Il faut éviter les incidents graves, qui obligeraient Total et Cnooc à déclarer, un cas de force majeure (à l’instar de Total au Mozambique) et freineraient dans la foulée, les investisseurs intéressés par l’appel d’offres actuel, en RDCongo (peut-être les mêmes qu’en Ouganda ? cf Total et Cnooc).
Plus au Sud dans le lac Kivu, les délimitations floues, n’augurent guère une répartition sereine du gaz méthane, entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda. Surtout, quand le Rwanda est accusé ouvertement de déstabiliser l’Est de la RDC, en soutenant les opérations meurtrières, attribuées récemment au M23. Pour rappel, le Rwanda fabrique déjà de l’électricité, à partir des immenses quantités de méthane, depuis la centrale KivuWatt, située au centre du lac frontalier.
Cette vallée très prospère, où les migrations pastorales transfrontalières séculaires persistent, permet à plusieurs tribus, clans et communautés de subvenir à leurs besoins vitaux. Elle est historiquement très convoitée, par les acteurs étrangers, qui aujourd’hui réinvestissent la région, équipés de nouveaux outils technologiques dédiés à une meilleure prospective et à une extraction sans risque. Ces derniers impulsent indéniablement les méga-projets. Apparaissent alors, de nouveaux corridors de transport multimodaux, qui seront raccordés à des ports modernisés, sous l’étroite supervision d’instruments pointus.
Tous ces éléments conjugués, confirment le vif intérêt des grandes puissances (parfois antagonistes), pour la région des Grands Lacs du Rift Est-Africain, provoquant en parallèle, une défiance des locaux oubliés, dans le cadre de ces mutations structurelles complexes. Sur leurs terres ancestrales quasi-vierges, elles sont prises en étau et otage par les déploiements militaires musclés et par les raids des insurgés suréquipés et fins connaisseurs, d’un terrain forestier très accidenté.